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10 mai 2008 6 10 /05 /mai /2008 23:45
Entre deux crises de boulimie de lecture, je vide mes placards et j'epoussète mon Disque Dur.
Je ne résiste pas à publier ce texte, initialement prévu pour la revue
Irrévérent, dont le prochain thème est Créature.
Afin qu'il ne pourrisse pas dans mon grenier, je lui fais une petite place vive sur l'étagère de mes
Mémoires Mortes.


Soir de dérive.
Quatre cavaliers sur leurs pieds s'égarent sous le treillage d'une ville dont on a oublié le nom.
Sur leurs pieds vers l'enchevêtrement le plus obscur des rues de cette ville dont on se fout du nom - en pure perte et sans conscience.
La nuit est vieille.
L'haleine est chargée.
Leurs pieds de cavaliers fatiguent.
Il fait soif. Il leur faut trouver un refuge pour elle, pour la nuit et leurs pieds.
Quatre cavaliers assis au sabbat d'une gargote.
Deux-trois morues suintent dans les coins d'ombres.
Le patron sent le bouc.
Il a une casquette. Le cartel des baigneurs rivés aux tabourets l'appelle Capitaine.
A y mieux regarder, tout ici à l'air d'avoir commerce avec la piraterie.
On cherche les membres manquants.
Le capitaine, derrière ses airs ombrageux, a une voix de camelot.
Il racole, se racle la gorge.
Le silence s'invite, impose sa présence.
Il entreprend de raconter une histoire véridique - le mot est proprement lâché.
L'histoire véridique d'un naufrage.
Un peu saumâtre, dit-il, qui commence en queue-de-poisson...

Une curieuse histoire en vérité que celle de cette sirène.
Peau de nacre, évidemment. Des yeux séditieux comme l'onde du ciel. Ou l'inverse.

Enfant de la mer, sa mère l'avait couvé en son giron, bercé et nourri de ses fruits et des plus fraîches moissons.
En somme, une enfance sans tempêtes. Et pourtant.
Et pourtant donc, en grandissant, ça soupirait à grosses gouttes d'écume. Aiguillonnée par leurs piquants appâts, depuis toujours elle aspirait à rejoindre les hommes qu'elle admirait en secret.

Coquine d'ingrate ! lui dit la mère douce dans son langage salé. Garce qui mouille mes flancs matronaux de tes larmes amères !

Mais son cœur et ses os se fendaient à la voir si chagrine.
Elle ferma les yeux quand celle-ci fila chez Protée, jeune dieu protéiforme qui, seul, pouvait exaucer son caprice.
Et c'est comme en délire et toute chavirée qu'en quelques brasses notre naïade aborde l'îlot ou ce petit démon médusait au soleil.
Elle lui chante sa supplique de Margot.
Elle guette le retour des marins, le souffle des vents portant de fiers navigateurs et de beaux matelots. Il n'est pas de rumeur, il n'est pas de marée, aucune tourmente qui pourrait faire cesser son cœur à la vue d'une voile se gonfler.

Pour initier les sirènes, Protée est membre généreux, il ne se fait guère prier.

Ma foi, si tu es sûre de toi, tu connais ma devise ; Rien ne se perd, rien ne se crée : tout se transforme. Toutefois, il y a un prix à payer pour abandonner ton élément. J'ai besoin de ton cœur pour substituer ta nature aquatique.
 
Elle accepta sans hésiter et pour combler le vide, elle déposa en son sein une éponge qui flottait justement à l'ombre du récif.
Ah ! La malheureuse ! Qu'avait-elle donc fait là ? Un oursin eût encore mieux valu.
Mais ignorante et grisée par sa joie, elle serra d'autant plus fort dans ses bras son heureux bienfaiteur.

Comme on dit, un courant les emporte. Dans un débordement d'ardeur, il arrache les deux coquillages contenant sa poitrine qui glissent et se brisent en éclats, avant d'être emportés par une langue humide et une mâchoire implacable dans le ventre autrefois maternel.
Ils quittèrent alors la grève et filèrent se frayer un abri d'une case.
Ironie ou malice, ses écailles se fondirent en poils soyeux et sa queue en appendice des plus masculins.
En deux coups de nageoire, notre infortunée sirène de femme-poisson était devenue nymphette.

Un nuageux matin ouvrait ses yeux gris sur notre sirène endormie, dormante. 

Faiblement elle ondule, s'éveille au bruit du clapotis d'une cuvette.
S'étirant sous les écailles de coton blanc la couvrant jusqu'à la taille, il lui poussa deux jambes.
Elle s'agite, ses pieds attirant le tissu du drap qui, en cascade, descendait le revers de ses hanches.
Sa peau de lait, comme liquide au dessous, avait une lueur froide.
Liquide, elle s'étendait offerte.
Seules les pointes roses
en bouton de ses seins éclataient en gouttes de sang séché sur de la toile vierge.
On tire une chasse d'eau.
Le tumulte de ses cheveux rappelait la vague qui l'avait terrassé tantôt.
Une porte claque.
Son corps à faire paraître livide les teintes pâles du ciel se glace.
Le lait a tourné en crème.
Ou en eau de boudin.
Déjà son nouveau cœur semble se dessécher.
Assoiffée, feu notre sirène dut vite maîtriser le délicat équilibre que mandait ses jambes neuves pour courir à la plus attenante taverne.
Cependant ni les épaisses liqueurs, ni les spiritueuses et légères boissons d'aucune sorte ne semblaient étancher sa soif dévorante.
Bientôt, de jeunes blanc-becs, attirés par ses joues si roses, éveillèrent en elle d'autres désirs.
Avide et concupiscente, elle tenta de noyer dans le lit des hommes son goût violent pour la chair.
Son entrejambe cahotée de lames de convoitise qui ne s'épuisaient jamais ; elle était submergée sous la houle de ce sexe qui ne semblait être là que pour la dépendance.

Absorbée par son assujettissement à toutes les drogues, à tous les poisons, jamais elle ne réussi à désaltérer sa gorge marine.
Les murs de ce maudit bar, où viennent se perdre les âmes chastes et s'échouer les pécheurs, résonnent encore des languissants échos de sa voix qui faisait trembler la surface huileuse au fond du verre ou elle plongeait les yeux.

D'acides et déchirantes complaintes, chantant l'ivresse des profondeurs perdues, l'océan ou elle avait pris sa source et qui n'incarnait plus alors qu'un vilain bleu de l'âme.


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commentaires

L
C'est toujours avec beaucoup de curiosité que je parcours la<br /> blogosphère. Au détour du hasard je suis arrivé ici. De très beaux<br /> écrits par ici à vrai dire. Au plaisir de revenir. Amicalement.
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C
ça marche toujours le garde à vous avec moi ... mais ce sera après le 22, j'ai un disque à faire et un concert sur les bras ... je suis débordé ... Agnès Debord sera ma guest aux disquaires ...votregénéral général
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M
<br /> Connais pas Agnès, ca devait pas être Chic ?<br /> Comme tu voudras, faut aussi que je bosse le texte pour Toma entre autre.<br /> A tous, mais pas n'importe qui,<br /> Cavalière Chevalier - 1er corps - Avant-garde.<br /> <br /> <br />

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